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« La valorisation de la racine de chicorée s’inscrit dans notre recherche de développement durable. » 

Versalof est par excellence une entreprise familiale, et ce depuis de nombreuses générations. L’exploitation, à Steenhuffel dans le Brabant flamand, cultive principalement de la chicorée. Le Journal Grandes Cultures a découvert Versalof au moment où son co-gérant Stijn Sarens semait des racines de chicorée à quarante kilomètres de là. « L’éloignement géographique de nos diverses parcelles est important pour limiter les risques. » C’était un excellent prétexte pour rendre visite à l’entreprise et s’entretenir avec Sarens, pour discuter en détail des défis auxquels font face les producteurs de chicorée d’aujourd’hui.  

Stijn Sarens raconte que ses parents ont lancé l’exploitation à son emplacement actuel en 1986. « Ils ont alors fait le choix de cultiver la chicorée en hydroponie. À cette époque, environ la moitié des producteurs de chicorée débutants choisissaient cette méthode, le reste cultivant la chicorée en pleine terre. Il y a une quinzaine d’années, mes parents étaient très insatisfaits du prix de la chicorée, et surtout de la perte de qualité qu’ils constataient avec l’hydroponie. Ils devaient répondre à de nombreuses exigences de qualité – or la chicorée qu’ils voyaient sur les étals des magasins était de bien moindre qualité. Ils ont alors décidé de se mettre à cuire les chicons à la vapeur et à se charger eux-mêmes de la vente. » Stijn, qui n’avait que dix-neuf ans à l’époque, n’a pas réalisé l’importance de ce tournant. Il a cependant aidé à constituer une clientèle composée de grossistes, d’établissements de l’horeca, de cuisines industrielles, de commerces de détail et d’entreprises alimentaires. En fin de compte, la totalité de leur production de chicorée était commercialisée cuite à la vapeur. « Nous produisions donc en fonction des ventes. Pendant la pandémie de Covid, les ventes aux établissements de l’horeca et aux cuisines industrielles ont pratiquement cessé. La période a été difficile pour nous, mais avec l’enthousiasme de notre jeunesse, nous avons transformé cette crise en opportunité. Nous avons recommencé à cultiver pour le marché du frais, mais en conditionnant le produit dans des emballages « intelligents », garantissant que la chicorée reste fraîche plus longtemps. » 

Le Chicobite, un produit breveté 

La vente de chicons cuits reste l’activité principale de Versalof. « C’est en effet un marché de niche, de taille limitée – seuls quelques collègues proposent la même chose. Nous avons été les premiers à nous lancer, et appliquons également le processus à d’autres légumes. Il existe de nombreux producteurs de chicorée dans la région, mais chacun a sa propre spécialité ou son mode de conditionnement. Puisque nous commercialisons nous-mêmes, nous devons être en mesure de fournir notre produit tout au long de l’année. S’il y a le moindre problème, il faut savoir être créatif, car il faut pouvoir remplir le contrat. Il est hors de question de ne pas livrer, ou de livrer moins que prévu. Il est donc important de répartir les risques, ainsi nous évitons de tout semer ou de tout récolter d’un coup. Heureusement, nous vivons vraiment dans la région de la chicorée, nous pouvons donc toujours faire appel à des collègues. » 

La famille Sarens ausculte régulièrement l’entreprise pour déterminer comment la rendre plus forte et plus durable. « Notre activité s’appuie désormais sur deux piliers : le marché de l’endive cuite et le marché du frais. Nous cherchions un troisième pilier, à savoir reprendre la tradition de consommer la racine de la chicorée. » C’est ainsi qu’a été développé Chicobite. Il s’agit d’un produit riche en fibres fabriqué à partir des racines de chicorée. « Jusqu’à présent, les racines ne servaient qu’à nourrir les animaux. Nous cherchions au départ un moyen d’élaborer un en-cas savoureux et bon pour la santé, pour les enfants, mais cette quête longue de six ans nous a finalement menés à notre Chicobite. Le concept a été breveté et c’est un produit unique que l’on ne trouve que chez Versalof. » L’entreprise a même été récompensée aux Prix de la nutrition à Rennes. Chicobite est un légume qui, grâce à sa structure riche en fibres ainsi que sa couleur et son goût neutres, peut servir de substitut à la viande, au poisson ou à la volaille. « En remplaçant une partie de la viande par des légumes, nos Chicobites permettent de faire remonter le nutriscore et de faire manger plus de légumes aux consommateurs, ce qui est toujours nécessaire. » 

Une rotation sur cinq ans 

Versalof exploite environ soixante-dix hectares, dont 25 hectares de leurs propres terres, et les autres parcelles sont louées à l’année. « Nous cultivons principalement de la chicorée, mais aussi du maïs, des céréales et des choux de Bruxelles sur nos propres parcelles », explique Sarens. « Nous abordons ce bail saisonnier avec une grande correction, afin de pouvoir construire un partenariat à long terme avec ces agriculteurs. Mais parfois, les terres sont assez loin de chez nous, parce que nous cherchons à disperser les zones cultivées. En effet, nous avons absolument besoin de nos racines de chicorée l’année suivante, et si l’on cultivait toute notre production au même endroit, une tempête de grêle localisée pourrait par exemple nous faire tout perdre. Les sols idéaux pour la chicorée sont les limons sableux de notre région, et les sols limoneux plus lourds de Wallonie. » En ce qui concerne la rotation des cultures, Sarens indique que le meilleur précédent cultural est le blé. « Le blé est une culture reposante pour le sol, qui lui permet de récupérer. Les betteraves ou la chicorée puisent au contraire beaucoup de nutriments du sol. Nous sélectionnons également nos parcelles en location saisonnière en fonction du précédent cultural, et effectuons des rotations sur cinq ans. Il est préférable d’éviter de cultiver la chicorée après des pommes de terre, des poireaux ou du maïs. Il y a toujours un risque de transmission ou de conservation des maladies. » 

Le soleil, la chaleur et l’eau : Sainte Trinité de la chicorée 

Lors du semis des racines, le sol doit être suffisamment humide. « Au moment de semer de la chicorée, il est très important d’avoir du soleil, de la chaleur et de l’eau, or ces trois critères ont été moins souvent réunis ces dernières années. Seule la nature peut fournir le soleil et la chaleur, mais l’agriculteur peut se charger d’apporter l’eau. Cela demande tout de même un investissement important en matériel d’irrigation, et beaucoup d’efforts. En effet, ce qu’une averse fait en quinze minutes exige de l’agriculteur 48 heures d’irrigation non-stop. Il est important que la graine bénéficie de suffisamment d’humidité pendant les premiers jours, afin qu’elle germe rapidement. Ainsi, la plantule peut plonger ses racines dans le sol et commencer à y puiser de l’eau. Sans eau, la graine a du mal à germer, c’est pourquoi nous arrosons la parcelle, laissons l’eau imprégner le sol, puis nous semons et arrosons encore deux fois. Mais cela dépend bien sûr de la situation et du sol. Nous semons la chicorée nous-mêmes, nous faisons appel à un entrepreneur pour apporter l’eau. Pour la récolte de la chicorée ainsi que de nos céréales et de notre maïs, nous faisons également appel à un entrepreneur en travaux agricoles. » 

Le parc de machines de l’exploitation est assez moderne. « Jusqu’à il y a quelques années, nous faisions moins de choses nous-mêmes, mais maintenant que nous sommes trois frères dans l’entreprise, nous avons plus de temps et de disponibilités pour travailler nous-mêmes les champs. Ces dernières années, nous avons investi davantage dans des machines modernes. Nous avons cinq tracteurs, dont la plupart sont équipés de d’auto-guidage GPS RTK. Ça ne rendra pas la chicorée meilleure, mais c’est plus facile à conduire. » Jusqu’à présent, la famille Sarens utilisait deux machines anciennes pour le binage. Récemment, ils ont acheté une nouvelle houe Steketee guidée par caméra pour pouvoir également biner sur les billons. « Nous espérons économiser beaucoup d’heures de travail avec cet outil, mais en raison d’un retard de livraison, nous n’avons pas pu l’utiliser cette saison. C’est dommage car les adventices sont un vrai problème. Certains herbicides sont interdits et la chicorée est une plante très délicate qui ne tolère pas beaucoup de produits. Les adventices sont souvent plus résistantes que la plante, et elles sont parfois vraiment difficiles à éliminer. Depuis quelques semaines, nous avons donc commencé à désherber manuellement le champ, mais quand on a soixante-dix hectares de terres, il y a toujours un endroit où la pression adventices se fait plus forte. » 

Pour Sarens, le secret pour commercialiser une très bonne chicorée est de réaliser chaque étape parfaitement, à cent pour cent, de la préparation à la récolte. « Si vous faites une seule étape sans enthousiasme, cela se ressentira et se répercutera dans toutes les étapes suivantes. Cette année, la levée a été moyenne et il faudra faire avec. Au nom de tous les producteurs de chicorée, nous espérons que les cours seront plus élevés la saison prochaine, afin que chacun voie son travail récompensé. » 

Investir dans des méthodes durables 

L’entreprise Versalof attache une importance primordiale au développement durable. « La valorisation de la racine de chicorée avec Chicobite en est un exemple, mais nous faisons aussi de la récupération de chaleur à grande échelle, pour produire de la vapeur pour la cuisson. Nous utilisons pour cela la chaleur émise par les chambres froides. Nous avons également investi dans des panneaux solaires, et l’achat de la nouvelle bineuse devrait nous permettre d’utiliser moins de produits. C’est un défi pour la saison à venir. » Sarens est optimiste quant à l’avenir de son exploitation. « Nous avons fait preuve de créativité et proposons de beaux produits à base de chicorée, uniques sur le marché, et je pense que nous sommes en position de force pour les années à venir. Nous ne voulons pas nécessairement grossir, mais nous sommes attentifs aux opportunités, par exemple Chicobite. Nous avons largement assez de travail et nous ne nous ennuyons certainement pas en ce moment, car nous commercialisons nous-mêmes, ce qui demande beaucoup d’énergie. Grâce au partenariat que nous construisons avec nos clients et faisant en sorte qu’ils puissent compter sur nous jour après jour, nous parvenons à écouler notre marchandise à un prix correct. C’est en effet le seul moyen d’être durable. Les principales difficultés sont actuellement la météo et le désherbage difficile, en raison de l’interdiction de certains produits phytosanitaires. Nous n’avons aucune influence sur ces facteurs externes, mais ils sont très déterminants. » 

« Nous, producteurs de chicorée, ne sommes rassurés que lorsque toutes nos racines de chicorée ont été arrachées et se trouvent dans nos chambres froides. C’est à partir de ce moment que nous commençons à maîtriser les choses. Par exemple, nous livrons 52 semaines par an, ce qui se traduit par de très grandes quantités en stockage, car les racines sont récoltées en octobre et novembre et stockées jusqu’à l’année suivante. Et c’est parfaitement possible dans les réfrigérateurs, entre autres grâce à un bon système de contrôle. » 

Montrer son appréciation à ceux qui produisent notre nourriture 

« Nous espérons que notre société sera suffisamment intelligente pour se rendre compte que la sécurité alimentaire est la base de notre prospérité. Les hommes et femmes qui travaillent la terre l’ont assurée, génération après génération, ont préservé la fertilité de leurs terres année après année pour nourrir les nombreuses bouches. » C’est pourquoi Sarens souligne qu’il aimerait voir le public manifester davantage de respect pour les agriculteurs. « Les gens se plaignent parfois des nuisances sonores de nos canons effaroucheurs ou des odeurs fétides des engrais naturels – je pense qu’il est important d’expliquer aux personnes qui se plaignent pourquoi cette nuisance temporaire est nécessaire. Ce n’est pas pour nous amuser que nous sillonnons nos champs en tracteur en pleine nuit. Les pigeons, par exemple, adorent manger les plants de chicorée qui viennent de lever. Nous devons donc utiliser des canons effaroucheurs, car c’est la seule chose qui aide un peu. Si nous ne sommes pas autorisés à protéger notre chicorée après la levée, nous en subirons les conséquences pendant une année entière car ce qui a été mangé par ces pigeons, nous ne pourrons jamais le récupérer. Les gens veulent de la nourriture, mais les personnes qui produisent notre nourriture doivent être davantage valorisées et soutenues. Applaudissons toutes ces filles et tous ces fils d’agriculteurs qui relèvent le défi malgré tout. »